Les Échos du Logement n°130

59 JURISPRUDENCE systématicité et corresponde bien à la finalité de la loi. Ou plutôt… les finalités des articles de la loi, car les prescriptions de salubrité n’ont pas toutes la même importance ni même le but,tant s’en faut (même si elles participent toutes d’un idéal général d’élévation des conditions matérielles de vie). Des questions de hauteur sous plafond, d’éclairage naturel, de cloisonnement du local toilettes ou de largeur de porte n’ont incontestablement pas la même portée que celles qui ont trait à la sécurité des équipements électriques ou des installations de gaz, entre autres illustrations. Par conséquent, fermer un bien qui ne souffre que demanquements légers et mettre son occupant à la rue schématiquement (où il affrontera des conditions bien pires) 48 reviendrait à contredire la raison d’être même de la politique de la qualité du logement. Que le juriste daigne s’intéresser au contenu des paramètres de salubrité et il verra rapidement qu’ils ne sauraient revendiquer chacun la qualification d’ordre public ; partant, tout défaut au bien ne doit pas entraîner in se la nul- lité 49 . La « salubrité » est un terme éminemment générique (enWallonie comme ailleurs), englobant sous le même chapeau des prescriptions afférentes qui à la «sécurité»,qui à la«santé»,qui à«l’équipement sanitaire»,qui à«l’étanchéité», qui à la « ventilation, qui encore au « surpeuplement » 50 …Signalons à cet égard que la catégorie « santé » concerne des vices aussi essentiels que la présence de monoxyde de carbone dans les pièces, d’amiante dans les matériaux, de moi- sissure sur les murs, de plomb dans les peintures murales, etc. 51 . Et celle qui touche à la « sécurité » interdit de manière vitale ou presque les défauts dans les fondations, les fissures dans les murs, les escaliers susceptibles d’effondrement, les planchers risquant de provoquer des chutes ou encore les installations élec- triques et de gaz dangereuses (fût-ce potentiellement) 52 . 13. En d’autres termes, l’objectif du législateur n’est pas strictement le même pour chacun de ces multiples volets (garantir un certain confort de vie vs . protéger la santé des résidents et empêcher des atteintes à l’intégrité phy- sique). Si les autorités ont jugé utile de différencier les normes de salubrité, c’est qu’il y a une raison technique. Que les juges opèrent avec le même sens de la casuistique dès lors,réservant ainsi la nullité aux situations les plus graves – celles où la dignité humaine du locataire s’abîme littéralement dans des taudis qui attentent jusqu’à la vie 53 . Ce qui, au passage, rétablirait un certain pouvoir d’appréciation dans le chef du magistrat (et conforterait l’expertise de l’administration éventuellement appelée). La sanction, en définitive, doit être doublement modulée, en fonction à la fois du type de norme violée et de l’am- pleur de cette violation. Précisément, le nouveau livre 5 du Code civil sur le droit des obligations aménage de façon judicieuse une souplesse de type. Rappelons d’abord que la prestation n’est illicite que « lorsqu’elle crée ou maintient une situation qui est contraire à l’ordre public ou à des dispositions légales impératives » 54 , ce qui fait que toute méconnaissance d’une norme présentée d’ordre public n’emporte pas, nécessairement, la nullité absolue du bail. Ensuite, et même dans l’hypothèse où cette exigence serait rencontrée, la convention est susceptible de se maintenir car « le contrat demeure valable dans les cas prévus par la loi ou lorsqu’il résulte des circonstances que la sanction de la nullité ne serait manifestement pas appropriée, 48 Conséquence qui, sans être obligée, peut résulter d’une nullité du bail. 49 Quelques centimètres carrés manquant à une fenêtre pour satisfaire à la règle relative à l’éclairage naturel « pèsent » nettement moins à cet égard qu’un chauffe- eau défectueux qui laisse fuir du monoxyde de carbone, par exemple. Voy. Civ. Bruxelles, 19 mai 2015, R.G.D.C. , 2016, p. 139, note N. Bernard, où le magistrat prône à bon droit une « appréciation en opportunité » (qui lui fait dire ici in casu qu’un problème mineur de hauteur sous plafond dans le WC par exemple ne doit pas avoir le même impact sur la validité du contrat de bail qu’une forte humidité par exemple). 50 Voy. les intitulés des sections 1 à 6 du chapitre II de l’arrêté du Gouvernement wal- lon du 30 août 2007. 51 Art. 16, §1er, 1° à 4°, de l’arrêté du Gouvernement wallon du 30 août 2007. 52 Art. 8 à 10 de l’arrêté du Gouvernement wallon du 30 août 2007. 53 Et pour autant naturellement que cette insalubrité « crée ou maintien[ne] une si- tuation qui est contraire à l’ordre public ou à des dispositions légales impératives » (pour reprendre les critères de l’article 5.51 du Code civil). 54 Art. 5.51 du Code civil. eu égard au but de la règle violée  » 55 .Et l’auteur du texte d’appuyer :«la nullité doit être écartée lorsque l’application d’une telle sanction heurterait manifestement le but de la norme violée» 56 .La nullité,définitivement,n’a plus rien d’automatique 57 . La Cour de cassation n’a toutefois pas attendu cette réforme pour s’engager dans une telle voie,elle qui a décidé en 2019 que«[s]auf si la loi s’y oppose, la conven- tion est maintenue s’il est ou peut être remédié à son illicéité demanière à ce que l’objectif visé par la loi soit ou puisse être atteint » ; a été écartée in casu la nullité absolue de la convention ayant abouti à l’édification litigieuse d’une habitation avec garage attenant, dès lors que l’infraction urbanistique 58 « peut être réparée sur le plan technique à un coût relativement limité » et qu’elle est susceptible d’être « régularisée » 59 . Du reste, cette appréhension finalisée de la nullité a pros- péré dans plusieurs autres dossiers 60 . 14. Terminons, pour revenir à l’affaire qui nous occupe, en rappelant que les défauts de salubrité soumis au tribunal de première instance du Hainaut consistaient in casu en une panne de chauffage et un dégât des eaux en cave, pour l’essentiel.Il n’est pas sûr dès lors,à l’aune des principes exposés ci-dessus (et indépendamment même de l’imputabilité ou non des manquements aux bailleurs), que ces problèmes devaient valoir la nullité du bail en effet. Mais que l’on ne s’interdise pas à l’avenir de recourir à pareille sanction si les circons- tances d’espèce et l’état du bien le justifient. 55 Art. 5.57, al. 2, du Code civil, souligné par nous. 56 « Le législateur peut donc décider de substituer expressément à la nullité une autre sanction plus adéquate, telle que l’inopposabilité en cas d’action paulienne, les dommages-intérêts en cas de dol incident, la réduction de l’obligation en cas de clause indemnitaire manifestement déraisonnable, etc. Par ailleurs, même en l’absence d’une disposition expresse en ce sens, la nullité doit être écartée lorsque l’application d’une telle sanction heurterait manifestement le but de la norme vio- lée. L’usage du terme “manifestement” souligne le caractère exceptionnel de cette situation. La disposition permet à cet égard, dans des cas spécifiques, d’écarter la sanction de la nullité au profit d’une autre sanction plus appropriée, voire même dans certains cas d’éviter l’application de toute sanction.Ce faisant,la disposition ré- pond à l’appel formulé par certaines voix qui se sont élevées en doctrine et en juris- prudence pour déplorer l’application systématique de la nullité dans des matières touchant certes à l’ordre public, mais où le prononcé de cette sanction aurait des conséquences drastiques contraires aux intentions du législateur.On songe notam- ment à la violation de certaines normes régionales sur le bail (J. VAN MEERBEECK, “Le juge et l’ordre public : libres propos quant à l’impact des normes régionales sur le bail à l’aune de la théorie des nullités”, Le bail et le contrat de vente face aux réglementations régionales (urbanisme, salubrité, PEB) », Bruxelles, Larcier, 2015, p. 156 et s.), aux infractions urbanistiques régularisables (Cass., 7 novembre 2019, C.19 0061.N ; Liège,23 décembre 2014,J.L.M.B.,2016,p.292,obs.P.Wéry) […]» (proposition de loi portant le Livre 5 “Les obligations“ du Code civil, commentaire des articles, Ch. repr., Doc. parl. , 2020-2021, n°55-1806/1, p. 64 et 65). 57 Voy. de manière générale sur le nouveau texte Chr. BIQUET-MATHIEU, « Aperçu de la réforme du droit des obligations», Chroniques notariales ,n°77,Bruxelles,Larcier, 2023, p. 9 et s. 58 Une différence de niveau entre l’habitation et le garage, ce qui méconnaissant les termes du permis d’urbanisme. 59 Cass., 7 novembre 2019, R.G. C.19.0061.N, www.juportal.be . Sur cette décision, voy. notamment É. de DUVE, « De la nullité des conventions : suite », J.T., 2020, p.  893 et s.,ainsi que F.ONCLIN,«La régularisation des infractions comme obstacle à la nullité de la vente », Amén. , 2020, p. 251 et s. 60 Notamment Cass., 22 janvier 2021, R.W. , 2021-2022, p. 998, note D. Willems : a échappé ainsi à la nullité absolue, bien qu’elle ait engendré une situation contraire à l’ordre public, l’attribution d’une concession de service public par une autorité éta- tique à un opérateur économique dans le mépris des règles d’égalité et de transpa- rence conçues pour garantir la libre concurrence, car il n’existait de toute façon aucun autre acteur du marché potentiellement intéressé et qu’au regard de l’objectif de la disposition légale violée, cette sanction de la nullité se serait révélée manifestement inadéquate (« Wanneer evenwel wordt vastgesteld dat er geen enkele potentieel geïnteresseerde marktspeler was, is de nietigheidssanctie kennelijk ongeschikt gelet op het doel van de geschonden regel en is de overeenkomst niet nietig »).Voy. aussi, dans le même sens,Cass.,22 novembre 2021,R.G.C.21.0046.N, www.juportal.be.

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