Les Échos du Logement n°124

58 LES ÉCHOS DU LOGEMENT N°124 JURISPRUDENCE COUR D’APPEL DE GAND CINQUIÈME CHAMBRE 5 JUIN 2018 Une assistante sociale contacte un agent immobilier en vue de louer une maison. L’agent immobilier déclare ne pas pouvoir don- ner suite à sa demande car la famille candidate locataire, réfugiés reconnus, ne dispose pas d’une carte d’identité belge. Unia (ex- centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme) va en appel contre un jugement du 19 avril 2017 dans lequel le tribunal de première instance de Termonde a estimé qu’il n’y avait pas de discrimination. Dans l’arrêt du 5 juin 2018, la Cour d’appel de Gand estime qu’il s’agissait bien de discrimination. 1. Par requête déposée le 27 octobre 2016 au greffe du tribunal de première instance de Flandre orientale, division Dendermonde, en application de l’article 29 du décret VI. du 10 juillet 2008 (portant le cadre de la politique flamande de l’égalité des chances et de trai- tement), l’appelant a saisi le Président de ce tribunal. Devant ce premier juge, l’appelant réclamait : « Préalablement, d’écarter des débats les contrats de location tels que produits par la SA WB sous les pièces 8 et 9. D’entendredéclarerl’actionde [l’appelant] recevableetfondée; Après la constatation qu’il est question de discrimination sur la base de la nationalité ; —— D’imposer à la SA WB, en conséquence de la discrimination directe précitée, une action en cessation, et ce sous peine d’une astreinte de 1.500,00 EUR par infraction constatée ; —— D’ordonner l’affichage du jugement pendant au moins trois mois à un endroit visible à l’intérieur et à l’extérieur des bureaux de la SA WB. —— D’entendre par ailleurs condamner la SAWB aux intérêts judi- ciaires et aux dépens de la procédure ». Selon la requête introductive, la présente action trouve son origine dans le refus de l’intimée d’accepter une certaine famille afghane A. en tant que candidate locataire pour une habitation mise en location, située à Overmere, refus que l’appelant considère comme discriminatoire. Selon l’appelant, l’intimée affirmait en effet ne louer qu’à des personnes possédant une carte d’identité belge. Par jugement du 19 avril 2017 du Président du tribunal de pre- mière instance de Flandre orientale, division Dendermonde, l’action de l’appelant a été déclarée recevable, mais rejetée comme étant non fondée. L’appelant a été condamné aux dépens de la procédure. Par requête déposée au greffe de la Cour d’appel de Gand le 7 juillet 2017, l’appelant a interjeté appel contre le jugement précité. Il ne ressort pas que ce jugement ait été signifié ou que l’appelant se serait fondé sur celui-ci. L’appel est formé dans le délai prescrit et régulier. L’appel vise à entendre annuler le jugement attaqué et à accorder l’action initiale de l’appelant. L’intimée de son côté réclame : —— à titre principal: que l’appel soit déclaré recevable, mais non fondé ; —— à titre subsidiaire : que l’appel soit déclaré recevable, mais partiellement non fondé ; que l’ordonnance attaquée soit annulée ; que la SAWB soit condamnée à cesser la discrimination sur la base de la nationalité, mais pour l’instant sans peine d’astreinte et sans affichage de l’arrêt. 2. C’est en vain que l’intimée invoque la forclusion. Outre le fait que l’expiration d’un droit subjectif ou le fait que celui-ci ne puisse plus être invoqué en conséquence d’un comportement du titulaire de ce droit qui n’est pas compatible avec ce droit, n’est pas un prin- cipe général du droit (comparez avec la jurisprudence constante de la Cour de Cassation en ce sens), force est de constater que l’appe- lant, en menant la présente procédure, exerce une tâche d’intérêt général qui lui a été confiée par le législateur et dont l’exercice ne devient tout simplement pas impossible en conséquence du com- portement de l’intimée critiqué par l’appelant. 3. L’appelant reproche à l’intimée une discrimination directe au sens de l’article 16 § 1 er du décret Fl. du 10 juillet 2008. On peut citer utilement ce qui suit : —— la famille A. aurait reçu le 17 novembre 2014 le statut de réfu- gié reconnu, et bénéficie d’un soutienmatériel du C.P.A.S. de Berlare ; —— une assistante sociale de ce C.P.A.S., Madame W. L., a pris contact le 24 novembre 2014 par téléphone avec l’intimée en vue de prendre en location un immeuble situé à Overmere, pour la famille A.; —— selon l’assistante sociale précitée, l’intimée lui a commu- niqué qu’elle ne louait qu’à des personnes possédant une carte d’identité belge (voir les pièces 1 et 2 de l’appelant) ; —— l’assistante sociale a demandé une clarification, mais parce qu’elle continuait de questionner l’intimée, cette dernière est carré- ment devenue impolie (voir la pièce 2 de l’appelant) ; —— dans la période dans laquelle les faits se sont déroulés, l’intimée donnait habituellement aux candidats locataires (pas en l’espèce, vu le seul contact téléphonique) un document énumérant ce que les candidats locataires doivent délivrer à l’intimée; sur cette liste figure entre autres: « 6. Une carte d’identité belge valable. COPIE recto/verso » (voir les annexes jointes à la pièce 3 de l’appelant). Il convient de déduire de ces données que l’intimée s’est rendue coupable d’une discrimination directe à l’égard de la fa- mille A. en la refusant comme candidat locataire au motif que les membres de celle-ci ne disposaient pas d’une carte d’identité belge. Il convient de souligner ici que les déclarations de l’assistante sociale du C.P.A.S. de Berlare doivent être considérées comme crédibles, puisqu’on ne voit pas quels motifs elle aurait pu avoir pour déclarer ici des contre-vérités. Ces données constituent au moins la présomption d’une discrimination directe visée par l’article 36 §1 er du décret FI. du 10 juillet 2008, qui a pour conséquence qu’il incombe à l’intimée de prouver qu’il n’y a pas de discrimination en l’espèce. L’intimée doit être autorisée à produire les contrats de loca- tion concernant d’autres locataires, à titre de défense contre les prétentions de l’appelant. Dans le conflit qui naît entre, d’une part, le respect de la vie privée des parties contractantes à l’occasion de ces autres contrats de location et, d’autre part, les droits de la défense de l’intimée, les droits de la défense de l’intimée doivent primer, vu le préjudice inexistant ou négligeable que les personnes ayant droit au respect de leur vie privée peuvent subir du fait de la production des documents visés. On ne peut occulter ici que l’appelant réclame, à l’encontre de l’intimée, d’ordonner des mesures sévères pour les

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