Les Échos du Logement n°124
05 TERRITOIRES RÉSILIENTS PIERRE LACROIX Et les signes avant-coureurs sont nombreux. On peut les résumer en 4 grandes catégories : —— La poursuite d’un paradigme non- soutenable, soit la croissance économique indéfinie. Cette croissance se base notam- ment sur l’hypothèse d’un cadre physique infini – or la terre a bien des limites. —— La dépendance à des ressources non-renouvelables. Cela concerne tout d’abord les combustibles fossiles, comme le pétrole, dont le pic de production a été atteint en 2006 4 . Une vue d’ensemble permet aussi de constater qu’aucun mix énergétique ne parviendra à satisfaire la demande énergé- tique dans les prochaines décennies 5 . Mais la production, le stockage et la distribution d’énergie à échelle industrielle dépendent aussi de métaux rares également fossiles. Et ceux-ci, au même titre que d’autres res- sources surexploitées comme l’eau ou le sable, se dirigent également vers des pics de production. La convergence de tous ces pics menace donc notre système industriel à moyen terme 6 . —— La destruction en cascade des sys- tèmes naturels. Qu’il s’agisse du réchauffe- ment climatique que l’on ne présente plus, de la 6 e extinction demasse de la biodiversité ou d’autres limites planétaires 7 , ces change- ments d’origine anthropique ne vont cesser de menacer les conditions de vie sur Terre. —— La fragilité extrême du système. Notre système industriel, mondialisé, tend vers une efficience toujours plus grande au prix d’une fragilité incroyable. L’intercon- nexion et l’hypersensibilité des systèmes, notamment économique et financier, est un facteur d’instabilité dont la crise de 2008 était un avant-goût. Les modes d’approvision- nement en flux-tendu et la diminution des stocks notamment, diminuent la sécurité ali- mentaire des grandes villesmondiales et leur autonomie à quelques jours, voire quelques heures. La fracture sociale, la concentration des capitaux au sein d’une classe dominante minoritaire et la gestion des rapports Nord- Sud sont, également, des facteurs fragili- sants 8 . 4 Agence internationale de l’énergie, «World Energy Out- look 2010». 5 G.E. Tveberg, “Converging energy crises – and how our current situation differs from the past”, Our Finite World, 2014. 6 Philippe Bihouix, L’âge des low tech : vers une civilisa- tion techniquement soutenable, Seuil, coll Anthropocène, Paris, 2014. 7 Steffen et al., Planetary Boundaries : Guiding human development on a changing planet, Science, 2015, Vol. 347, n° 6223. 8 S. Landsley, The Cost of Inequality : Three Decades of the Super-Rich and the Economy, Gibson Square Books Ltd, 2011. S’il ne fait aucun doute, au vu de ces conclusions, que notre avenir ne sera pas indéfiniment dans la lignée de l’actuelle croissance industrielle, l’effondrement de notre civilisation, par contre, est un scénario désormais probablemais plein d’incertitudes. Les interprétations dumodèlemathématique World 3 par exemple, admettent générale- ment qu’un basculement et un déclin de notre civilisation pourraient être atteints autour de l’année 2030 9 . Arriver à la conclusion de notre propre effondrement n’est pas une chose facile. Cela suppose une succession de déclics mentaux, menant finalement à un difficile deuil du système actuel au profit de nouveaux paradigmes. Par ailleurs, il est indispensable d’adopter une vision systémique pour com- prendre la diversité des enjeux. Pour éviter un effondrement, nous serions contraints de résoudre toutes ces crises en même temps, sans quoi les externalités de la résolution d’une crise peuvent en aggraver une autre. Par exemple, si l’on tentait de résoudre la crise énergétique avec un recoursmassif aux biocarburants sans réduire notre consomma- tion énergétique, nous serions contraints d’y allouer la presque totalité des terres arables disponibles sur la planète, ce qui précipiterait l’effondrement des écosystèmes, le réchauf- fement climatique (par une déforestation de masse) et la faim dans le monde (puisqu’au- cune terre arable ne resterait disponible pour la production de nourriture). 9 Graham M. Turner, “On the cusp of global collapse? Updated comparison of ’The Limits to Growth’with historical data”, GAIA-Ecological Perspectives for Science and Society, vol. 21, n°2, 2012, p. 116-124. Des enjeux pour demain La perspective d’un effondrement fait émer- ger une multitude d’incertitudes et d’enjeux qui, depuis notre confort de vie actuel, nous semblent bien lointains. Un premier enjeu est la sécurité ali- mentaire, soit lemoyen pour des populations notamment urbaines et «hors-sol », de s’ali- menter malgré la rupture des systèmes ali- mentaires. Jamais les chaînes de production et d’approvisionnement n’ont été aussi lon- gues qu’aujourd’hui, et jamais lesmétropoles n’ont été aussi grandes. Sachant que la taille d’une ville dépend de l’approvisionnement en nourriture qu’il est possible d’effectuer pour une zone aussi densément peuplée 10 , on peut s’interroger sur les effets d’une rupture des systèmes alimentaires et énergétiques 11 . Dans ce contexte, la taille des villes et leur organisation pourraient fortement changer. De nouvelles entités urbaines, plus petites, moins denses et plus autonomes, pourraient devenir la norme. Le lien entre la ville et la campagne change aussi, puisque les «bassins alimentaires» seraient repensés à l’échelle de la biorégion 12 . Un autre enjeu est la chute de l’offre énergétique par rapport à la demande, en- traînant une récession forcée sur ce tableau. 10 Steel C., «Hungry city : How food shapes our lives», Vintage books, London, 2013. 11 Pablo Servigne, Nourrir l’Europe en Temps de Crise. Vers des systèmes alimentaires résilients. Nature et Progrès, 2014. 12 Alberto Magnaghi, La biorégion urbaine, Petit traité sur le territoire comme bien en commun, Eterotopia, 2014. Ville Ceinture urbaine Hinterland Agriculture (péri-) urbaine Ressources naturelles non-périssables, énergie Ressources de confort et d’appoint Ressources de confort et d’appoint Planification et support Matières organiques et transformées
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